La Joie et la Confiance Comme Boucliers

On parle souvent de ce qu’il faut combattre. Moins souvent de ce qui nous garde debout. Pourtant, dans les parcours professionnels et personnels des femmes et personnes d'identités de genre minorisées noires et racisées au sein de milieux qui peuvent leur être hostiles, c’est parfois la joie qui sauve. Une joie lucide, choisie, qui aide à faire rempart.
Dans les milieux où l’on attend de nous qu’on soit résilient.e.s, brillant.e.s, mais humbles, efficaces, mais discrèt.e.s, cultiver son assurance et son amour-propre devient un geste subversif. Dans une conférence organisée par le projet PARR, Marie Dasylva le rappelait : «L’humilité ne nous aidera pas dans des structures qui sont prêtes à oublier ce qu’on est, à nous nier et à ne pas nous considérer comme des productrices de savoir.» Dans ces espaces qui veulent notre force de travail sans reconnaître notre contribution intellectuelle et l’importance de nos savoirs, il faut apprendre à nous définir nous-mêmes.
Se Redéfinir Selon Nos Propres Règles
Le sentiment d’imposture est partout. Dans le milieu académique, il est amplifié par le poids des normes élitistes, des biais de classe, de race, de langue, de genre. Ce sentiment d’illégitimité devient une arme de l’institution pour nous faire douter de nos intuitions, de nos compétences, de nos trajectoires. Comme on le lit à travers un témoignage du rapport de recherche de PARR, « on a l'impression qu'on va être jugé.e, que c'est comme si on n'était pas à la hauteur. C'est difficile quand tu es étudiant, c'est difficile de se faire confiance, de dire « ouais, ce que je fais, c'est correct », puis que l’on me dise que ce n’est peut-être pas fait pour moi, parce que c'est beaucoup trop exigeant...On se questionne beaucoup, on est pas sûrs si c'est la bonne façon de faire ».
Face à ce phénomène dont plusieurs témoignent et souffrent, il est vital de trouver ses propres indicateurs de réussite. Quels sont tes critères à toi ? Quel serait un objectif réaliste, tenant compte de tes ressources réelles ? À qui accordes-tu le droit de te critiquer ? Ces questions sont essentielles pour se recentrer sur des bases solides.
Repenser L’Excellence
Et si on refusait d’adhérer à leurs standards ? Si on décidait que l’excellence, ce n’est pas la publication, la performance, l’éloquence ou la reconnaissance des dominant.e.s ? Si on acceptait d’échouer parfois, sans que cela ronge notre estime ? L’échec n’est pas la preuve qu’on ne mérite pas d’être là. C'est une étape, un détour, parfois une brèche vers autre chose.
Se Laisser Être Improductif.ve
Réapprendre à exister autrement que dans l’effort, dans la justification permanente, c’est une voie de guérison. Tu as le droit de t’adonner à ce qui te nourrit, même si ça ne remplit pas un objectif précis. Tu as le droit de rire, de peindre, de jardiner, de t’ennuyer. Le capitalisme veut que ton temps soit monétisable. L’oppression veut que tu sois épuisé.e.
Dans les moments de découragement, la joie devient un fil fragile, mais tenace. Elle n’est pas un luxe, elle est une nécessité. Elle est ce qui reste quand tout vacille, ce qui nous lie quand on se retrouve entre nous, ce qui nous rappelle que nos vies valent plus que ce qu’on nous concède.
Quelques pratiques concrètes pour nourrir sa confiance et sa joie
- Choisis tes critères de succès. Refuse que la reconnaissance institutionnelle soit ton seul baromètre.
- Mets ton expertise en scène. Si tu sais quelque chose, assume-le. Tu n’as pas à t’excuser de savoir. Tu as travaillé pour ça.
- Demande de l’aide. L’indépendance totale est un mythe individualiste. On a le droit de flancher. Et de se faire porter comme on a si souvent porté les autres.
- Parle-toi avec douceur et attention. Les mots ont du pouvoir. Change la formulation si répandue « on m’a offert ce poste » pour « j’ai obtenu ce poste ». Personne ne t’as fait de fleurs ou de cadeaux, tu as travaillé pour obtenir cet emploi et tu as les compétences pour l’occuper.
- Pratique le self-care… Nourris ta vie intérieure. Thérapie, prière, nature, créativité… peu importe la forme, si cela t’ancre dans le présent.
- et le community-care : On ne le répètera jamais assez, nos chemins ne peuvent pas se construire seuls. Se soutenir mutuellement, valider nos vécus, offrir un espace d’écoute et de care à celleux qui marchent à nos côtés sont aussi des formes cruciales de résistance. Notre force et notre confiance se nourrissent de nos liens et ces moments de joie que l’on peut vivre ensemble.
Tu n’es pas ce qu’on te fait. Tu n’es pas ce qu’iels projettent. Tu es ce que tu construis, malgré tout ce qui peut se dresser devant toi. Ce que tu choisis de préserver en toi. Cultiver ta joie, nourrir ta confiance, se libérer du diktat de l’utilité et du rendement : voilà des gestes qui peuvent sembler individuels, mais qui sont profondément politiques.
Certains extraits sont inspirés de témoignages issus du rapport PARR ou du jeu de cartes réflexives. Ils ont été adaptés et anonymisés pour des fins de vulgarisation.
Promotion des actrices racisées en recherche (PARR). (2024). Floraison de stratégies - Cultive ton épanouissement en recherche partenariale (Jeu de cartes réflexives - version française). Outil de sensibilisation et d'auto-réflexion issu des témoignages et pistes de transformation partagées dans le cadre du projet PARR.
La définition de l'injustice épistémique est tirée du rapport PARR qui cite Godrie, B., Desrosières, É., & al. (2020). Les injustices épistémiques : vers une reconnaissance des savoirs marginalisés.